4.2.17

Cela rend amer

 Que l’on tue des hommes, cela n’est rien, il faut bien qu’ils meurent un jour, mais on n’a pas le droit de les nier. Non, on n’en a pas le droit. Le plus terrible, pour nous, ce n’est pas qu’ils veuillent nous tuer, c’est qu’ils ne cessent pas de déverser sur nous des flots de haine, qu’ils ne sachent nous nommer autrement que boches, Huns, barbares. Cela rend amer. C’est pourtant vrai, tout peuple a son sale type, et c’est justement celui-là que les voisins aiment à prendre pour norme. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, tout Anglais nous est un Shylock, tout Français un marquis de Sade. On en rira peut-être dans cent ans, à moins qu’on ne soit encore en guerre, pour changer. A toute contemplation, il faut du recul. Du recul dans l’espace, dans le temps, dans l’esprit.
Ernst Jünger, La guerre comme expérience intérieure